Comment aborder un événement historique en BD ? L’art du compromis à travers l’exemple d’Immortels !

Dans son ouvrage Immortels ! L’ancienne élève de l’Ecole Jean Trubert, Camille Ledigarcher revient en bande dessinée sur des événements historiques tragiques : la fusillade de 48 otages à Châteaubriant, Nantes et au Mont-Valérien le 22 octobre 1941.
L’exécution a eu lieu sur ordre d’Hitler, en représailles de l’assassinat du chef de la Wehrmacht à Nantes.

Les victimes, internées dans des camps pour des actions de résistance ou d’activisme communiste, ont ainsi vu leurs vies sacrifiées pour un crime qu’elles n’avaient pas commis.
Parmi elles, on retrouve des figures connues comme le jeune Guy Mocquêt, 17 ans, le syndicaliste Jean-Pierre Timbaud ou le député Charles Michels.

Les otages de Chateaubriant

Cette commande institutionnelle* destinée aux musées de la Résistance, aux mairies et écoles de Loire-Atlantique répond à 2 objectifs principaux :

  • Le devoir de mémoire

L’album rend hommage à ces hommes qui ont existé, morts en résistant pour la France Libre. L’ouvrage relate également l’impact que ces événements ont eu sur la suite de la guerre et comment elles peuvent faire écho à d’autres luttes aujourd’hui.

  • La mise en forme BD destinée à rendre ces événements accessibles au plus grand nombre

… Et plus particulièrement au jeune public. La bande dessinée permet de redonner vie à ces personnes par la mise en image et le dialogue, de mettre en valeur leurs idéaux. Elle oblige son auteure à trouver l’équilibre entre faits historiques, action, émotion et espoir.

Mener à bien ces missions au sein d’un même ouvrage peut s’avérer particulièrement complexe. L’auteure Camille Ledigarcher a accepté de nous révéler certains de ses secrets de fabrication.

Quelles ont été les principales étapes pour passer de l’Histoire à la BD ?

Lorsqu’on aborde une commande sur des faits réels et des personnes ayant existé, la difficulté principale est de parvenir à défendre des choix artistiques tout en sachant que l’ouvrage à des visées institutionnelles.

En général, le donneur d’ordre va chercher une reconstitution du réel sans forcément anticiper les aspects scénaristiques et l’importance de choisir un angle.
On doit parfois laisser de côté certains aspects factuels pour garder le même point de vue.

1 – Proposer un scénario et le faire valider

Pour construire cette histoire, il a ainsi fallu élaborer un scénario, choisir les figures de héros les plus emblématiques parmi les 48 otages, et trouver des points d’accord sur la façon d’aborder le sujet : l’angle choisi ici sera celui des otages « vus de l’intérieur », de leur vie dans les camps, de leur solidarité et de la force de leurs convictions.

C’est cette force qui leur permettra d’affronter leur destin tragique dans la dignité et avec un esprit de résistance intact, comme en témoignent les derniers courriers à leurs proches fidèlement retranscrits dans la BD.

2 – Se documenter de façon rigoureuse

L’Histoire ne donne pas droit à l’approximation, sur les faits, les dates, les noms, les lieux. En ce sens, une telle commande nécessite de longues heures de préparation.
Camille a ainsi visité les lieux où se sont déroulés les événements d’Immortels ! , a lu les textes des témoins et résistants de l’époque comme l’ouvrage de Fernand Grenier – « Ceux de Châteaubriant», et le texte d’Aragon « Le témoin des martyrs » qui relate les derniers instants avant la fusillade. Tous les éléments historiques qui apparaissent dans l’ouvrage ont ensuite été validés par un historien.

3 – Faire un travail de synthèse et de reconstitution du réel

Une fois  l’ensemble des faits historiques et leurs conséquences validés, il a fallu créer tout ce qui rend l’histoire vivante : les détails du quotidien à cette époque.
En l’occurrence, les vêtements, les véhicules, les uniformes, les armes utilisées, mais aussi imaginer des liens et des dialogues entre des personnes qui a priori ne se connaissaient pas.

Pour cela, Camille s’est appuyée sur les propres écrits des anciens otages. Elle a dû retranscrire leur façon de parler, porter attention à tous les détails, être au plus proche de leur réalité.
Afin de faire revivre des personnages dont le visage était connu et par respect pour leurs familles, il a fallu également s’inspirer des photos existantes des victimes, souvent des portraits uniques et ne présentant qu’un seul profil.

4 – Apporter de la poésie et assumer des choix artistiques pour créer un recul nécessaire face au drame


Dans un cas comme  Immortels ! , le drame et la tragédie sont une toile de fond qui nécessitent une mise à distance pour que les lecteurs ressentent aussi l’espoir et la solidarité qui règne dans les camps, que l’album ne prenne pas un tour trop sombre.
Afin d’apporter ce recul, Camille Ledigarcher a pris le parti d’intégrer la faune de la région – papillons, libellules, grenouilles, oiseaux … – dans les images.

Leur présence apporte de la poésie et de la vie, accompagne les lecteurs comme témoins des événements et appuie le propos par leur force symbolique, comme l’envol des corbeaux au moment des fusillades.

Camille a également décidé d’intégrer le poème « Les Fusillés de Châteaubriant» de René-Guy Cadou et d’autres textes littéraires disséminés tout au long du récit dans ce même esprit d’apaisement en alternance avec des moments d’action ou d’émotion pures.


S’il y avait un conseil à retenir pour traiter ce type de commande institutionnelle ?

L’aspect créatif relatif à la mise en images et à la transposition de l’Histoire en scénario n’est pas forcément évidente pour les organismes qui sont à l’origine de commandes institutionnelles. C’est donc à l’artiste de défendre ses choix.
Cela nécessite une affirmation de soi forte, sans laquelle l’ouvrage pourrait devenir un documentaire ennuyeux et perdre en émotion. 

Propos retranscrits par Marie Pouliquen – Un grand merci à Camille Ledigarcher pour son temps et ses précieux conseils !

Vous souhaitez découvrir et lire Immortels ! ? Retrouvez la BD dans la boutique BD Geek , les musées de la Résistance et les lieux historiques de Loire-Atlantique comme le Château-Musée de Nantes.

*L’album  Immortels ! a été réalisé sur commande du Comité départemental du Souvenir des Fusillés de Châteaubriant et Nantes et de la Résistance en Loire-Inférieure
La mise en couleur a été réalisée par Gaëlle Richardeau, également ancienne élève de l’Ecole Jean Trubert.

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