Dessinateur de BD : l’action et le mouvement

Entretien avec Eric Chabbert, dessinateur professionnel et enseignant dans la section BD de l’École Jean Trubert

Comment devenir dessinateur de Bande Dessinée ?
Est-ce un rêve encore accessible aujourd’hui et comment se donner les meilleures chances de réussir ?  
Eric Chabbert, Dessinateur professionnel et enseignant à l’école Jean Trubert depuis plusieurs années, nous livre les ficelles d’un métier de passion, évolutif et pleinement épanouissant.

Vous avez aujourd’hui une belle carrière en tant que dessinateur de BD. Vous préparez la sortie du dernier album de Shadow Banking en janvier 2019, avez dessiné entre autres les séries Dr Monge, Nova Genesis et New Byzance pour les Uchronie(s). Comment vous êtes-vous formé à la bande dessinée au départ ?

Eric Chabbert – Je dessine depuis tout  petit. De 7 à 17 ans j’ai toujours dessiné, créé des histoires. Je m’inspirais de mes lectures, des personnages qui me plaisaient graphiquement. Par exemple, j’avais un personnage qui ressemblait à Rahan et pour lequel j’ai conçu plusieurs aventures.

Vos proches vous ont-ils encouragé dans cette voie ?

EC – C’était mon rêve mais pas forcément celui de mes parents, surtout qu’à l’époque à part à Angoulême, il n’existait pas vraiment d’école de Bande dessinée. Les Ecoles d’art menaient plus vers l’illustration que vers la BD.
J’ai donc un parcours plus classique : j’ai fait Hypokhâgne, Khâgne ainsi qu’une licence de philosophie puis une Ecole de commerce.
C’est à l’issue de cette formation que j’ai décidé de revenir au dessin en intégrant l’académie Charpentier qui prépare plus à la communication visuelle et à l’architecture d’intérieur. Je me suis dirigé ensuite vers la publicité et suis devenu directeur artistique chez Saatchi & Saatchi.

Comment avez-vous opéré un glissement vers le métier de dessinateur de BD professionnel ?

EC – Ma passion pour la BD ne m’a jamais quitté. C’est en gagnant un concours organisé par le journal Vécu  que j’ai été contacté par les éditions Glénat. Cela m’a mis le pied à l’étrier. J’ai vraiment commencé en dessinant la série Docteur Monge  en collaboration avec le scénariste Daniel Bardet, ma première BD éditée. Grâce à cette série, les autres projets et commandes se sont enchaînés et j’ai pu réaliser mon rêve.

Quels sont les apprentissages les plus importants selon vous pour devenir un bon dessinateur de BD ?

Le métier de dessinateur de Bande dessinée va bien au-delà du dessin. On doit maîtriser les bases techniques : l’anatomie, la perspective, le décor mais surtout mettre en scène. Il faut d’abord réaliser son casting, le look des personnages, leurs costumes.
Ensuite, à partir du scénario, vous créez le storyboard, le cadrage, la composition de l’image, l’angle de vue…

Vous employez des termes de cinéma…

EC – Oui c’est tout à fait ça. L’artiste doit s’impliquer entièrement, pour créer l’action, le mouvement, comme un réalisateur.

 Outre un talent naturel et ces apprentissages techniques et artistiques, quelles sont selon vous les qualités à avoir pour exercer le métier de dessinateur de BD ?

EC – Je dirais qu’il faut être tenace, persévérant, endurant. Faire de la bande dessinée, être édité ponctuellement c’est une chose, mais pour en vivre il ne faut pas ménager ses efforts. Après, si l’on a la volonté d’y arriver, que l’on ne renâcle pas au travail et que l’on aime relever des défis, c’est un métier exaltant, on ne s’en lasse pas.

Y a-t-il de la place pour tous les genres sur le Marché de la Bande dessinée aujourd’hui ?

Oui, il y a des modes mais l’offre est de plus en plus conséquente chaque année dans tous les styles : les romans graphiques, la BD  classique, les Mangas, et l’on note en ce moment une forte progression des Comics.

Qu’est-ce qui vous a manqué dans votre formation que vous pouvez transmettre aujourd’hui aux jeunes qui rêvent de devenir dessinateurs de BD ?

EC – Les débuts n’étaient pas forcément évidents, c’était un apprentissage d’autodidacte, sur le tas. J’avais parfois des collègues qui me donnaient des conseils techniques, mais je ne connaissais rien des réalités professionnelles du milieu de la Bande dessinée.
Ce sont tous ces conseils, « trucs » du métier que je peux aujourd’hui transmettre à mes élèves de façon très concrète grâce à mon expérience, même si la bande dessinée demeure un marché assez opaque et très évolutif.

Des exemples concrets ?

EC – Par exemple, je leur montre l’importance de la planche originale,  très différente de  la version imprimée de l’album. Je mets l’accent sur les techniques d’encrage et tout ce que l’on va leur demander réellement.
Je peux leur parler des prix du marché. A l’Ecole Jean Trubert, les élèves réalisent en fin de cursus une étude de marché qui leur permet de cibler les différentes maisons d’édition. J’aurais aimé être accompagné de cette manière lorsque j’ai démarré dans ce métier.
Il y a enfin toute la culture BD que n’ont pas certains jeunes qui arrivent à l’Ecole. On essaye de les intéresser à l’Histoire de la BD, à des classiques qu’ils ne connaissent pas forcément. Un élève m’a  remercié pour lui avoir fait découvrir les Métal Hurlant  qu’il est parvenu à se procurer et qu’il a dévorés. Ce sont de vraies satisfactions en tant qu’enseignant et passionné.

Qu’est-ce qui s’apprend et qu’est-ce qui ne s’apprend pas ?

EC – Pour réussir, il faut être curieux et aujourd’hui, savoir communiquer et bouger, peut-être plus qu’hier. Il sera sans doute plus compliqué pour un élève même talentueux de réussir avec une personnalité très réservée. Mais l’Ecole le prépare aussi à cette ouverture.

Peut-on réussir en tant que dessinateur de BD sans se former ?

EC – Oui, sans doute. Mais l’école est vraiment un accélérateur. On y apprend toutes les bases techniques, souvent on y découvre son style ou le fait évoluer.
C’est là aussi que l’on commence à créer son réseau, grâce aux associations d’anciens élèves, aux professeurs, aux événements BD.

A l’École Jean Trubert, les élèves font des déplacements sur le festival d’Angoulême, l’Ecole est reconnue pour sa qualité de formation et partenaire de différentes maisons d’édition : cela donne aux étudiants des occasions de rencontrer des professionnels, d’approcher des éditeurs.

Nous-même, en tant qu’enseignants, nous pouvons amener nos élèves ou anciens élèves à travailler sur des commandes. Le travail à fournir au sein de l’école correspond vraiment à ce qui va être demandé à la sortie par les Editeurs.

Si vous deviez convaincre un jeune lycéen à s’inscrire à l’école Jean Trubert en section Bande dessinée, que lui diriez-vous ?

EC – C’est une école sérieuse qui aborde tous les domaines avec une équipe pédagogique constituée de professionnels expérimentés. Tous les styles de BD y sont représentés. C’est la création qui est d’abord encouragée, mais surtout le cursus prépare vraiment au monde professionnel.

Propos recueillis par Marie Pouliquen.